Stefan Paulus (FR)

Stefan Paulus est scientifique, artiste multimédia et aventurier. Sa pratique théorique est liée aux concepts d’«espace lisse» et de «corps sans organe» développés par Gilles Deleuze et Félix Guattari, alors que ses travaux et expéditions sont influencés par les Situationnistes et leurs concepts de «dérive» et de «psychogéographie». Paulus a réalisé plusieurs œuvres sonores et visuelles incluant des vidéos, doubles expositions, essais photographiques, enregistrements de terrain, diffusions radio, reportages, collages et espaces sonores. Depuis les années 2000, Paulus a publié des essais et ouvrages sur la théorie de la société et l’agencement des sujets. Ses œuvres multimédia peuvent être consultées sur son blog : https://nowhere-nowhere.org/

Stratum

Stratum utilise un principe photographique d’exposition analogique double et multiple, de même que des enregistrements audio et vidéo réalisés par Stefan Paulus lors d’expéditions en montagne dans les Alpes suisses, le Caucase, et le cercle Arctique — en documentant la météo orageuse, les avalanches, les sons émanant de glaciers et de l’intérieur de crevasses et de grottes. En plus de la série de photographies «BwO» (35mm film noir et blanc, 2017 https://nowhere-nowhere.org/2017/11/26/bwo/) et Straten (35mm film couleur, 2018-2019 https://nowhere-nowhere.org/2019/12/10/straten/), Paulus a créé des paysages sonores composés de bruits (noisescapes) et des vidéos à partir de ces enregistrements en les connectant et les pliant en centaines de couches sonores et filmiques : ce procèdè est analogue aux strates géologiques et à leurs sources géographiques, et analogue au «stratum» (Deleuze/Guattari, ATP, 39ff).
Lorsque Deleuze et Guattari demandent «Comment se faire un corps sans organe?», leur instruction considérant à s’installer sur une strate, une couche de roche, peut être entendue de manière littérale. En hauteur, sur les lignes de contour, entre les débris, l’eau et les coulées de boue, sur les crêtes rigides et les roches sédimentaires, on peut échapper au terrible alphabet, au découpage, à l’incision, à l’encerclement, à la scarification et à la mutilation du socius, mais cela est aussi une expérience physique. L’écrasement et le craquement de la glace des surfaces, l’indiscernable dans les tempêtes de neige, le hurlement du vent dans les déserts de pierre, et même la stupéfaction de la vastitude et des glaciers à découvert avec des cieux et des nuages infinis, «est davantage tactile ou plutôt ‘haptique’ et plus sonore qu’un espace visuel.» (Deleuze/Guattari, ATP, 526; notre traduction) En superposant des sons, vidéos et photos, ce n’est pas la nature du son ou de l’image qui détermine la perception, mais la consistance du son et de l’image qui rend possible une référence au matériel. À travers ce processus moléculaire d’enregistrements terrain (field recordings), il est possible de créer des déterritorialisations de ritournelles et des plans de consistance qui ni organisent ni ne stratifient le son comme le font les partitions, et qui plutôt les coupent, les plient. Ces superpositions amènent la matière brute à perdre sa fonction, sa domination, sa tendance hiérarchisante de même que la hiérarchie de des schémas de la perception. Ceci peut mener à la production de diffèrentes couches de réalité et d’illusion. Les sons et les images du micro- et du macrocosme, passé et présent, de même que l’homme et la machine, établissent alors des connexions. Une relativisation de la réalité est créée en désassemblant le système et les schémas de la perception qui sont tenus pour acquis (Deleuze/Guattari, ATP, 13, 64, 218, 446). Ces déterritorialisations créent simultanément des possibilités de dé-synchronisation, de perception non-sélective, de désubjectivation, et d’exploration de ces percepts. La déterritorialisation de la matière brute fait dès lors partie d’une profonde «dimension de création à l’état naissant, perpétuellement en amont d’elle-même», et donc développe une «puissance d’émergence subsumant la contingence et les aléas des entreprises de mise à l’être d’univers immatériels.» (Guattari, Chaosmose, Paris, Galilée, 142).

Automatisme & Stefan Paulus ‘Säntis’ de l’album Gap/Void (2022), Constellation, CST164, 180gLP/CD/DL, Vidéo

Au début de 2021, Paulus a contacté Automatisme (le musicien et artiste conceptuel canadien William Jourdain) en lui proposant une collaboration à partir d’enregistrements de terrain. En ont résulté des mixages audio qui composent une multiplicité d’excursions spatio-temporelles. L’album Gap/Void dont est tiré ‘Säntis’ comprend cinq pistes rythmiques (coupées en 33rpm LP) qui présentent des synthèses interstitielles et digitales, ainsi qu’un traitement des signaux caractéristiques du travail d’Automatisme, le tout étant combiné à des «expéditions» au sein des sillons d’obscures microsillons de musique disco des années 1970 et 1980. Les partitions et les structures sont déconstruites en vue de combiner des micro-échantillons avec les sources matérielles des sédiments déterritorialisés de Paulus. Cinq pistes additionnelles présentent des sélections d’œuvres originales «ambiance drone» de Paulus qui sont traitées «granulairement» par Automatisme. L’album accomplit cette mission dans le contexte plus large d’une recherche psychogéographique réalisée avec cinq «pistes-sources» ambiantes jointes à des images de la caméra de montagne sténopée de Paulus.

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